La conception chinoise de l’Histoire. LéonVandermeersch
In Anne Cheng, La pensée en Chine aujourd’hui.
Origines.
Le premier ouvrage d’Histoire est la compilation d’archives(史記) produite par Sima Jian,« secrétaire astronome »sous les Han, achevée en 91 av. J.C.
La combinaison des fonctions de secrétaire et d’astronome peut paraitre étrange, mais elle provient du fait que l’écriture et la divination sont étroitement liées sous la dynastie Shang. Les oracles, qui servent alors à la décision politique, s’écrivent alors les carapaces de tortues et ossements (scapulomancie, 甲骨), et constituent en fin de compte les véritables annales du pouvoir. Sous les Zhou, la rédaction des oracles se poursuit mais l’écriture même des annales va prendre un caractère sacré.
La forme des annales chinoises diffère de celles produites en occident au sens où le récit n’est pas continu. Les annales appartiennent à l’historiographie, qui note chronologiquement les évènements, et non à l’historiographie, qui tente de donner un sens aux évènements recensés.
Apres l’unification, le récit historique va rapidement devenir l’objet d’un contrôle étroit par le pouvoir politique qui interdit toute initiative privée. Des règles strictes sont formulées : « les activités de l’empereur et de ses proches sont relevées chaque jour » (p. 51), les archives sont compilées après la mort de l’empereur, toutes les archives sont scellées et ne peuvent être ouverte qu’après la chute de la dynastie.
Spécificités
L’une des particularités de la conception chinoise de l’Histoire à ses origines est de différencier des tranches de temps qui ne sont pas liées par un récit. Ce n’est qu’avec Sima Qian que se développe une Histoire cherchant des « relations remarquables » (p. 54) entre les différentes périodes. Cette recherche de « relations » n’est cependant pas similaire à une recherche des causes et des effets ; elle tente principalement de mettre en lumière des conjonctures comparables, un travail qui était au cœur de la scapulomancie.
La philosophie chinoise de l’Histoire a également de particulier qu’elle crée une identité entre les lois de l’Histoire et celles de la nature, du fait que son principe est que l’homme fait partie de la nature. Dans cette perspective, le changement de pouvoir dynastique (l’ascension, le règne et la chute) peut être décrit en termes de cycles « naturels ». Les hommes peuvent choisir de désobéir aux lois de la nature, mais au dérèglement qu’entraine cette désobéissance doit répondre une réaction qui pousse au rétablissement de ces lois. Ainsi le non-respect des rites implique une réaction naturelle, pouvant se traduire par l’apparence de catastrophes (inondations…). En ce sens, l’Histoire se fonde aussi sur une morale : la déviance par rapport aux lois et aux rites est « sanctionnée » par l’ordre naturel des choses.Le récit historique, qui utilise un vocabulaire précis et rigoureux implique que chaque variation de terme porte un jugement morale sur l’évènement relaté.
Le point central de l’Histoire chinoise est celui de la transition entre eux dynastie, qui intervient, dans le cadre de la « tradition légitime » (p. 61). Les dynasties sont associées aux cinq éléments fondamentaux que sont l’air, l’eau, la terre, le métal et le bois. La succession des dynasties correspond aux cycles d’« engendrements mutuels » (p. 61) entre les éléments : le bois engendre le feu qui engendre la terre au engendre le métal, qui engendre l’eau, qui engendre le bois. L’écriture de l’Histoire des dynasties s’ancre donc dans cette succession naturelle –bien que plusieurs interprétations existent sur la correspondance des éléments et des dynasties (par exemple les Xia sont considérés alternativement comme correspondant au bois puis au métal par les historiens Han).
La conception du temps se trouve intimement liée en Chine à la notion de succession des saisons. LéonVandermeersch souligne qu’il existe une divergence de conceptions entre la notion occidentale du temps qui se focalise sur la durée et conçoit le moment comme un petit segment de temps, et la notion chinoise du temps qui se focalise sur le moment et conçoit la durée comme l’intervalle entre deux moments. De ce fait, la pensée chinoise s’attache principalement, selonLéon Vandermeersch à identifier le moment et la « propension des choses » à ce moment, c’est-à-dire l’orientation du moment à partir des lois naturelles. L’Histoire est donc caractérisée par la capacité des acteurs d’un moment à identifier la « propension des choses » et à agir en accord (ou en désaccord) avec celle-ci.
Développements contemporains.
L’introduction des conceptions occidentales de l’Histoire se fait via le Japon au tournant du XIXe et XXe siècles. Le mouvement du 4 mai favorise l’adoption des méthodes critiques vis-à-vis des sources chinoises. Le marxisme est introduit un peu plus tardivement avec notamment les publications de Guo Moruo. Le matérialisme historique prendra naturellement une place prépondérante après la victoire du PCC et la fondation de la République Populaire.
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